lundi 12 septembre 2016

Quels combats ?

“Le grand combat de la raison et de la culture”. C’est ainsi que l’abbé Grosjean résume le défi qui attend désormais les catholiques, dans son Mémoire sur la Note doctrinale sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique.


Ce texte, rédigé par le Cardinal Ratzinger en 2002, alors qu’il était préfet pour la Congrégation pour la doctrine de la foi, est remarquable à bien des égards. Sans être une “charia” ou un Manifeste catholique, comme certains l’ont craint, il joue le rôle d’une boussole, guidant le catholique dans son engagement politique. Chacun l’a compris, les temps ont changé. Finie l’époque où l’église paroissiale était pleine à craquer, la pratique cultuelle ne cesse de décroître en Europe. Et avec elle, la morale chrétienne. Incontestablement , nous sommes entrés dans le règne du nihilisme et du relativisme. La défense d’une morale universelle par l'Église est insupportable à beaucoup. La crise religieuse s’est doublée d’une crise morale.


Pour autant, il n’est moins que jamais temps d’abdiquer. Parce que, nous, catholiques, avons le devoir d’évangéliser, de propager la “civilisation de l’amour”, chère à Saint Jean-Paul II. “Les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la “politique”. C’est-à-dire à l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle qui a pour but de promouvoir organiquement, et par les institutions, le bien commun.” écrit Saint Jean-Paul II dans son exhortation apostolique Christi Fideles Laici. Il est si facile de dédaigner la politique, au motif que le combat est perdu d’avance. Mais, continue Saint Jean-Paul II, “les accusations d'arrivisme, d'idolâtrie du pouvoir, d'égoïsme et de corruption, qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l'opinion assez répandue que la politique est nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le moins du monde ni le scepticisme ni l'absentéisme des chrétiens pour la chose publique”. Derrière ce dégoût affiché pour la politique, se dissimule bien souvent un sentiment bien trop humain : le découragement. Devant le travail à effectuer, il serait lâche de démissionner, d’abandonner la lutte. Devenus minoritaires, les catholiques sont de facto en résistance devant les attaques de la post-modernité libertaire. Le temps est venu d’édicter une stratégie, guidant notre engagement politique et culturel - nous ne pouvons faire l’économie de l’un des deux volets, nous le verrons par la suite.


Certains demanderont, à juste titre, de quel droit l'Église traite de sujets comme la politique ou la société qui ne la concernent pas immédiatement. Sa vocation n’est-il pas plutôt de mener les âmes au Salut ? De convertir les hommes ? Une implication de l'Église en politique ne serait-elle pas une tentative de bâtir une théocratie ou tout autre régime confessionnel du même ordre ? Et quelle légitimité a-t-elle pour se préoccuper de ces sujets ?
La réponse à ses interrogations réside dans la cohérence requise dans la vie du chrétien, “la cohérence entre la foi et la vie, entre l’Évangile et la culture”. Que dirions-nous d’une personne se prétendant chrétienne mais agissant, de par ses actes, de manière immorale ? “Il ne peut y avoir deux vies parallèles, d’un côté la vie qu’on nomme "spirituelle" avec ses valeurs et ses exigences ; et de l’autre, la vie dite "séculière", c’est-à-dire la vie de famille, de travail, de rapports sociaux, d’engagement politique, d’activités culturelles. [...] Tous les secteurs de la vie laïque, en effet, rentrent dans le dessein de Dieu.” rappelle la Note.


Qu’est-ce donc qu’une vie vécue en conformité avec la foi catholique ? Quelles principes doivent régir la vie des catholiques ? “Les citoyens catholiques ont le droit et le devoir, comme tous les autres, de rechercher sincèrement la vérité, de promouvoir et de défendre par tous les moyens licites, les vérités morales sur la vie sociale, la justice, la liberté, le respect de la vie et les autres droits de la personne”. Ici, nous percevons clairement la visée, le but de tout engagement civil et politique : la vérité. Cette vérité que chaque personne possède au plus profond de son coeur, que sa raison peut lui permettre de découvrir. Cette vérité qui mène au vrai bonheur, promis par Dieu.
Or le projet de la post-modernité libertaire effectue un renversement complet du paradigme de la loi naturelle : il considère que la liberté est première et, à ce titre, promeut la pluralité morale. Chacun est “libre” d’adopter l’éthique de vie qu’il souhaite. La volonté individuelle est passée devant la vérité. Celle-ci est rapidement battue en brèche, attaquée, niée.
Pis encore, “la notion de vérité est passée dans le camp de l’intolérance et de ce qui est antidémocratique”, explique Benoit XVI. “Le relativisme substitue ainsi à la loi naturelle comme fondement de l’ordre juridique, la loi de la majorité. C’est la majorité qui construit la morale, n’acceptant d’autre référence qu’elle même. [...] le relativisme apparaît comme la philosophie propre de la démocratie libérale, sa condition même, puisque protégeant dans ses principes la tolérance vis à vis de tous et l’autonomie morale de chacun. Il est le garant d’une liberté [mal] comprise comme radicale autonomie”, continue l’abbé Grosjean.
Le relativisme est donc clairement désigné comme l’ennemi principal des catholiques. Si la Note ne condamne évidemment pas la démocratie, elle s’érige contre le “relativisme culturel”, symptôme d’une “décadence et d’une dissolution de la raison et des principes de la loi morale naturelle”. Que peuvent les catholiques face à ce changement de paradigme, à cette révolution des valeurs ?
Réhabiliter la raison ! s’écrie l’abbé Grosjean. Partant de Fides et ratio de Saint Jean-Paul II, “la majorité ne peut être le principe ultime : il existe des valeurs qu’aucune majorité n’a le droit d’abolir”, il demande : “Quelles sont ces valeurs ? La première que la raison discerne est l’affirmation d’une dignité propre de l’homme : “Nous pouvons avoir confiance les uns dans les autres, et vivre ensemble paisiblement, à une seule condition : que l’homme se reconnaisse comme une fin, que l’homme soit intangible pour l’homme.” (Fides et ratio).
Pourtant, devant la négation du droit naturel par le plus grand nombre et la crise profonde de la raison, l’intelligence de Benoit XVI est d’appeler la foi au chevet de la raison. “La foi chrétienne, qui s’est avérée être la culture religieuse la plus universelle et la plus rationnelle, offre aujourd’hui encore à la raison cette structure de base en matière de discernement moral qui soit mène à une certaine évidence, soit fonde au moins une foi morale rationnelle sans laquelle aucune société ne peut exister”, dit-il dans les remarquables Valeurs pour un temps de crise.
Tel est le combat culturel qui attend les catholiques : réinstaurer le rôle de la raison dans la politique, condition sine qua non de la redécouverte de la loi naturelle et de la recherche effective du bien commun.


A ce premier “combat de la raison”, succède le “combat pour la culture”. Une première difficulté surgit lorsqu’il s’agit de définir clairement ce terme polysémique de “culture”. Le cardinal Giacomo Biffi, mort en 2015, a publié à la suite de la parution de la Note le commentaire "L'engagement culturel, priorité politique des catholiques”  dans lequel il s’efforce de réfléchir sur la triple signification du mot “culture”. Il s’agit tour à tour 1) d’“une vision de l’homme”, 2) d’”un système collectif d’appréciation des idées, des actes, des événements” et 3) de “la mentalité, les institutions, les formes d’existence, les habitudes” d’une population. La première définition est, me semble-t-il, la plus fondamentale. La culture catholique est avant tout une vision de l’homme, une “anthropologie unique et typique” dont la perte serait irréparable. C’est celle-ci que nous devons protéger et promouvoir de toutes nos forces. Quelle est-elle, selon Biffi ? Rien d’autre que “l’humanisme le plus élevé et le mieux étayé”. Le cardinal Biffi explique : “Déjà l'Antiquité classique en était arrivé à proclamer : " Beaucoup de choses sont magnifiques dans le monde, mais l'homme les surpasse toutes " (Sophocle, Antigone). Le christianisme accueille et assimile l'humanisme grec et, en le transfigurant, le transcende au point de faire de l'homme la fin primaire et immédiate de toutes les choses visibles, comme cela apparaît de ce qu'écrit S. Ambroise : " L'homme est le sommet et comme le résumé de l'univers, et la beauté suprême de toute la création " (Hexameron IX,75).” Saint Jean-Paul II avait cette belle définition de la culture : « ce par quoi l'homme en tant qu'homme devient davantage homme, "est" davantage, accède davantage à l'"être" ». Aujourd’hui, la réalisation concrète de cette anthropologie catholique est l’écologie humaine, axe fondamental de travail du cercle Pierre Manent.
Au cours d’un discours devant les membres du Parti Populaire Européen (PPE), Benoit XVI définissait trois principes, trois axes d’engagement et de combat politique “non-négociables” : “1) Protection de la vie dans toutes ses phases ; 2) reconnaissance et défense de la structure naturelle de la famille — union entre un homme et une femme fondée sur le mariage — la protégeant contre toutes tentatives de la rendre équivalente en droit à des formes radicalement différentes d'union qui nuisent et obscurcissent son caractère particulier et à son rôle social irremplaçable ; 3) protection du droit des parents à éduquer leurs enfants.

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